Antoine et Mademoiselle PerrinAntoine Mercourt de Péribole est avocat. Chez lui, il étudie le dossier d’un de ses clients. Il est tard. Il ôte ses lunettes et se pince la racine du nez. Il pose ses talons sur son bureau et laisse vagabonder ses pensées le long des flammes de la cheminée.
Enfant, il vivait avec ses parents dans une colonie française d’Afrique. Ses souvenirs le transportent en hiver. La nature était luxuriante. On entendait dans les pavillons des gramophones le lointain tumulte des années folles. Mademoiselle Perrin tenait Antoine par la main. Ils attendaient le train qui les ramènerait à l’autre grande ville du pays. Elle était son institutrice. Il était âgé de huit ou neuf ans.
Il portait un costume bleu clair avec un short et une casquette. Elle avait une longue jupe et une veste cintrée, grises. Il était intrigué par le triples rang de perles qui reposait sur son corsage blanc. Il se demandait souvent ce qui la coiffait : »serait-ce cela un bibi ? »
Ils attendaient sur le quai déserté et fissuré. Le monstre de vapeur et de fumée arrivait enfin, au bout d’un long virage dans les grands arbres verts. On le reconnaissait au long panache qui enveloppait les cimes. Il était un peu lent, mal entretenu. La Société Nationales des Chemins de Fer, à l’image de la métropole, ne se souciait guère de cela. L’opinion publique des villes et villages de là-bas pesait davantage.
Les wagons ralentissaient à proximité d’Antoine et de Mademoiselle Perrin. Ils étaient hauts, présentaient un marchepied. Les portières s’ouvraient à l’aide d’un vulgaire verrou. Antoine aimait se voir dans la peinture émeraude. Les employés, noirs (on disait comme cela), appréciaient apparemment faire briller les surfaces. Le garçon pariait intérieurement que son image se figerait exactement entre les charnières.
Mademoiselle Perrin a tiré Antoine par la main et le poussa dans la voiture. Il s’est précipité sur l’une des banquettes de bois pour se coller à la fenêtre. Elle s’est assise contre lui. Le train n’attendait jamais longtemps. Il avait l’habitude de les attendre, eux, le petit avait un nom.
« Attendez ! » Avait-on crié sur le quai. Mademoiselle Perrin s’était penchée au-dessus d’Antoine pour mieux voir. Elle lui avait comprimé les épaules sur la vitre. Une équipe de cricket arrivait, influence britannique voisine. Accessoires à la main, tenue blanche, peau noire, quelques amies ou sœurs les accompagnaient. Ils s’étaient assis quelques bancs plus loin. Les femmes cherchaient à s’asseoir entre elles. Elles s’approchaient.
-Je dois aller faire pipi ! Antoine tirait la manche de Mademoiselle Perrin. Elle a baissé les yeux sur lui.
-Tu veux faire pipi ? Un des femmes, ronde et d’âge moyen, avait entendu.
Mademoiselle Perrin était connue dans la région. Les autochtones pouvaient se comporter avec elle et le petit naturellement. Antoine avait eu une nourrice noire et s’en était attaché. Elles avaient une réputation en la matière très grande.
Elle a laissé son élève partir avec la femme. Il fallait à l’époque sortir du train pour se soulager. Heureusement ce dernier s’arrêtait un kilomètre plus moins pour faire le ravitaillement de charbon et d’eau. Ils avaient descendu en courant le bas-coté de la voie. Elle était sportive, pulpeuse. Sa poitrine généreuse lui chauffait la nuque pendant qu’elle se penchait par-dessus. Il se souviendrait toujours ne pas avoir osé dire qu’il aurait su le faire sans aide. Il avait simplement peur que le train reparte sans lui.
Les lourdes roues ont commencé à patiner sur les rails. Raymonde, la femme qui a accompagné Antoine, l’a incité à presser le pas. Elle craignait de rater la portière de la voiture de Mademoiselle Perrin. Celle-ci respirait l’air. Elle a pu apercevoir Antoine monter dans le wagon des amies de Raymonde qui avaient descendu et rejeté les hommes qui les suivaient.
À cause des secousses que produisait le train, Mademoiselle Perrin a faillit tomber du marchepied. Des bras vifs ont entouré ses hanches et un corps tira le sien vers lui. Elle vit deux paires de muscles noirs se tendre sur sa ceinture. Confuse, elle s’est retourné et a remercié le jeune-homme. Il était beau, courtois, son torse transperçait sa tenue de cricket.
Plus tard, il s’est assoupi au bout de la banquette de Mademoiselle Perrin. Le voyage allait encore durer un long moment avant le prochain arrêt, le seul, le terminus.
Jérôme, le prénom sous lequel il s’était présenté, s'est réveillé. Il vit Mademoiselle Perrin s’éponger la gorge. Le soleil frappait le profile délicat de l’institutrice. Elle soupirait, sa poitrine se soulevant. Elle déboutonnait un ou deux boutons de son chemisier quand elle a surpris le visage du jeune homme à quelques centimètre du sien. Il s’est excusé de lui avoir fait peur. Le mouchoir était tombé. Il l'a ramassé. S’étant penchée, Mademoiselle Perrin a découvert le haut de sa poitrine. Elle s'est trouvée quelque peu gourde. Il lui sourit affectueusement et a épongé délicatement son front et ses joues.
Elle se reboutonnait quand Jérôme a descendu sa main, tenant l’étoffe du bout des doigts. Il a ouvert le col du chemisier comme deux pétales d’une rose avec l’air de dire : « Comme cela se sera décent. » Les perles suivaient les reliefs du cou. Le jeune-homme regardait cela avec une sorte de rigueur d’artiste. Leurs yeux se sont croisés. Chaque mouvement de ses lèvres était une invitation. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’imaginer de poser les siennes sur les siens.
Deux de ses camarades sont venus pour lui demander pourquoi il ne fêtait pas avec eux la victoire.
-Regardez comme elle est belle… Mademoiselle Perrin se sentait comme sur un piédestal. Elle avait ses mains sur son sac à main, droite, la jupe longue, son chapeau. Elle avait gardé son chemisier ouvert.
-Comment t’appelles-tu ? Le tutoiement passait ici pour du respect tant il l’avait dit avec soucis.
-Madeleine.
Les deux autres sportifs étaient assis en face d’elle.
Lorsque le train est arrivé, Antoine et son accompagnatrice ont descendu de la voiture. Madeleine était catastrophée. Le temps s’était écoulé plus rapidement que d’habitude. Traditionnellement, elle et le garçonnet restait un long moment dans le train immobilisé en bout de ligne. Antoine et Raymonde montaient quand ils aperçurent l’institutrice agiter sa main dans sa direction. C’était un geste de refus, de rejet.
Raymonde, interloquée, a fait tourner l’enfant sur lui-même. Il avait vu son institutrice, belle, les cheveux relâchés sur le côté en longues boucles brunes. Sa poitrine pressée par ses bras tenant sa veste contre elle, le corsage ouvert. Elle était penchée, pressée, affolée, le triple rang de perles dans le vide. Autour d’elle, d’après ses souvenirs, les deux banquettes étaient pleines. Mademoiselle Perrin était entourée d’hommes aux torses nus. Il y en avait même debout contre la vitre. Quelques-uns uns étaient assis de l’autre côté de l’allée. De la fumée de cigarettes masquait les visages noirs, en contre-jour.
Raymonde a ramené Antoine dans sa voiture. Il ressentait le poids de l’interdit. Elle a parlé à ses amies avec des sous-entendus, certaines étaient ses sœurs. Il se souviendrait de son incompréhension toute sa vie, mais pas des mots.
Sur ces mots, Antoine, bien plus tard, bien des fois, a plaqué ses fantasmes. Bien entendu, c’était bien plus que ce que Raymonde avait vu. Le plus difficile était de joindre le début innocent à la suite. Antoine imaginait simplement qu’après ce qu’avait expliqué Jérôme à sa sœur, Mademoiselle Perrin avait cédé au désir de poser ses lèvres sur celle de son sauveteur. Il faut bien se mettre dans la tête qu’a l’époque il était inconcevable qu’une blanche et un noir et inversement, quoique, tombent dans les bras l’un de l’autre.
Malgré la présence des deux camarades, l’institutrice avait donc crocheté la mâchoire de Jérôme, approché son visage pour l’embrasser. Il en avait fait autant, mais sa main a glissé sur le cou, la gorge. Elle a fermé les yeux. La main qui l’avait quittée est revenue prendre un sein sous son corsage, mais il y a eu une deuxième, sur l’autre sein. Mademoiselle Perrin a sursauté comme par électrocution. L’homme assis en face d’elle avait écarté son corsage et tenait sa poitrine. Jérôme a embrassé le téton fièrement dressé, au bout d’un mamelon blanc et frais, ramassé dans une paume noire inconnue. L’autre homme a passé sa langue sur l’autre téton. L’institutrice a basculé sa tête en arrière. Sa respiration était profonde.
Toute l’équipe de cricket s’est approchée. Antoine ne connaissait ni le nombre de dessous d’une femme de cette époque ni d’éléments dans une équipe de cricket. Il aimait imaginer que chaque membre s’était chargé d’ôter chaque ornement féminin. Tant pis si les années folles étaient passé par-là !
N’allons pas trop vite. Mademoiselle Perrin caressait les cuisses sous les têtes qui se joignaient sous son menton. Des doigts se sont croisé avec les siens, par le dos, et sont allés saisir les entrejambes. Au travers des pantalons blanc, l’institutrice sentait les sexes palpiter comme si elle tenait le cœur de ses deux amants. Jérôme et Patrice, il a dit son prénom pendant qu’il libérait sa verge, faisaient glisser leurs fines peaux sur leurs turgescences.
La main gracieuse et délicate, alourdie d’un double rang de perles, a pris du bout des doigts le membre chaux et vibrant de Jérôme. Il a glissé au creux du pouce qui s’est refermé. Elle a fait aller et venir son fourreau. Patrice s’est levé, porte à la vue de Mademoiselle Perrin sa verge gonflée de désir. Elle a posé un baisé sur la hampe veineuse, mais elle lui échappait un peu. Elle a recommencé et le gland s’est redressé, découvrant son extrémité brillant. L’institutrice a fait frétiller sa langue sur le méat et a posé ses lèvres de plus en plus loin. Patrice caressait la chevelure brune tirée par un chignon mais qui libérait des mèches ondulantes. Ses doigts se sont recourbés et ses hanches se balançaient. Les lèvres de Mademoiselle Perrin retenaient la peau et laissaient glisser la verge soyeuse entre sa langue et son palais. Jérôme a pris la place de son ami.
Passons les péripéties qu’aurait constitué le déshabillage du bas de la dame. Imaginons que Patrice récompensait son amante. Elle était couchée sur le bois de la banquette et, depuis l’allée, il glissait sa langue dans la fente. Il en faisait une pointe frétillante qui excitait le clitoris de l’institutrice. Elle ondulait, secouait son visage plein d’extase, sous les yeux d’une double poignée d’hommes. Ils avaient sorti leurs membres noirs et tendus au travers des tenues blanches.
Patrice avait préparé un vagin humide et béant à son ami Jérôme. Il s’y est glissé avec bonheur. Mademoiselle Perrin a empoigné ses fesses et a appuyé ses mouvements.
Pour que tous participent, Antoine imaginait que sa maîtresse s’est mise à quatre pattes entre les banquettes. Patrice la pénétrait ainsi, dos à la vitre. Les autres venaient à gauche et à droite, dans ses mains, dans sa bouche.
Tout cela n’était que des rêves. Un jour, Antoine, de notoriété publique par sa profession, reçu des nouvelles de son ancienne institutrice. Elle lui avait expliqué que ce jour là avait été le dernier qui les voyait ensemble à cause d’une rumeur crée de toutes pièces par une amie de Jérôme. Elle était secrètement amoureuse de lui, jalouse, et avait brodé autour d’un geste élégant, peut-être galant, une histoire immonde digne du procès de Marie-Antoinette. Mademoiselle Perrin éprouvait les premiers effets d’une maladie qui lui provoquait au départ que des sueurs. Les joueurs de cricket s’en étaient inquiété, l’un d’eux, un seul, avait prêté son maillot pour aider l’institutrice à se nettoyer. Aller prendre l’air s’était révélé insuffisant, la fumée de la locomotive avait même envahi le wagon. Il ne fallait pas regretter son départ vers la métropole. Sa maladie était grave et venait à peine d’être vaincue.
Antoine Mercourt de Péribole aurait bien envie de reconnaître dans ses images du passé l’auteur du fantasme. Il se débrouillait fort bien lui-même et les gardait pour lui. Quand Madeleine Perrin a passé le prendre dans la voiture voisine, il y avait de la sévérité dans un regard. Peut-être… Non, il ne dirait pas de l’envie ou de l’impression, le temps déformait sans doute ses souvenirs. En tous cas, ce dont il se rappelait avec ironie aujourd’hui, c’est que Mademoiselle Perrin avait été odieuse avec lui, pour la première fois. Elle lui arrachait le bras quand elle l'a rendu à ses parents. Pourtant, depuis ce jour-là, d’une certaine façon, il l’aimait.